Hervaldsheim Textile Réalisations Costume féminin de noble, début XIIème, est de la France

Costume féminin de noble, début XIIème, est de la France

Index des pages

 

1°/ Préambule

Ce projet s'appuie essentiellement sur des enluminures, particulièrement celles produites par l'abbaye de Zwiefalten (Allemagne) et plus généralement. sur celles où l'on peut voir des robes à manches pendantes. Ce n'est pas  vraiment une reconstitution puisque certains éléments du costume comportent une grosse part d'interprétation et de choix personnels, notamment sur la façon de patronner la robe et la sous-robe. Malgré tout, pour chaque élément du costume, je m'efforcerai d'expliquer le pourquoi de mes choix.

2°/ Contexte historique

Ce projet est le dual du projet dont on peut trouver l'article ici. Il a donc pour objectif la création de l'alter ego médiéval  de ma femme, dont la date de naissance lui correspondrait et qui vivrait il y a 900 ans donc en 1111. Pour ceux qui ne seraient pas passés par l'article mentionné ci-dessus, voici une copie de ce que l'on peut y lire :

"Le cadre du projet est la commune où j'habite, Eschène (devenue par regroupement Autrechène), dont l'origine est très ancienne puisque l'on retrouve en 1104 son nom dans une donation du prieuré dont elle dépendait. Après quelques recherches, j'ai forgé l'histoire d'un personnage dont voici quelques éléments.

Eschène se trouve dans le Comté de Ferrette, issu de l'éclatement du comté de Montbéliard en deux parties à la succession de Thierry 1er de Montbéliard, en 1104. A l'origine, le comté de Montbéliard était un des morceaux issu de l'ancien Comté de Bourgogne, dont les limites sont quasi celles de notre Franche-Comté actuelle. A noter que le Comté de Bourgogne a été rattaché au Saint Empire Germanique en 1037. Eschène en fait donc également partie.

Hervald d'Eschène (ou Quercubus en latin) est le seigneur d'un ensemble de villages se trouvant à la frontière entre le Comté de Ferrette et celui de Montbéliard. Il est le vassal de Frédéric 1er (qui prendra le titre de comte en 1125), qui l'a chargé de garder la frontière contre les ravages et pillages fréquents que commettent les troupes de Thierry II de Montbéliard."

Gaëlle d'Eschène est la femme d'Hervald et va devenir une des suivantes de la future comtesse, En effet, en 1111, Frédéric 1er se marie avec la fille du Duc de Souabe. Le costume du projet est celui que porte Gaëlle à cette occasion et se place dans la catégorie des costumes d'apparat. De part la situation particlulière du Comté, entre Duché de Bourgogne et Saint Empire, le costume de Gaëlle s'insipre de ces deux pôles d'influence, en mariant des éléments vestimentaires des deux origines.


 3°/ Description du projet

 Le projet comporte essentiellement 6 éléments : une robe, une sous-robe (= couche intermédiaire portée au dessus de la chemise), un voile, une paire de chausses, une ceinture et une paire de chaussures.Comme indiqué ci-dessus, l'idée est de mélanger deux styles. Je me suis donc inspiré d'une part des sources germaniques les plus proches géographiquement d'Autrechène, et d'autre part, des sources bourguignonnes et plus généralement françaises.

3.1°/ Les sources germaniques

Le coeur du projet est basé sur les enluminures tirées de deux manuscrits produit à Zwiefalten, entre 1125 et 1130. En voici quelques extraits caractéristiques :

Stuttgart-cod.bibl.fol.56-030-detail  Stuttgart-cod.bibl.fol.56-034v-detail
f. 30 f. 34v
Stuttgart WLB, cod. bibl. fol. 56, origine : abbaye de Zwiefalten, 1125-1130

 

Stuttgart-cod.bibl.fol.57-004-detail

Stuttgart-cod.bibl.fol.57-055-detail Stuttgart-cod.bibl.fol.57-121v-detail Stuttgart-cod.bibl.fol.57-192-detail
f. 4 f. 55 f. 121v f. 192
Stuttgart WLB, cod. bibl. fol. 57, origine : abbaye de Zwiefalten, 1125-1130

Les éléments particulièrement remarquables, qui seront discutés ci- après, sont :

  • une robe dans l'ensemble assez large sauf quelques exceptions où apparaissent des plis à l'abdomen,
  • les manches évasées, mais pas non plus immenses, de la robe, quasi toujours bordées de broderies,
  • une éventuelle bande (brodée ?) en bas de la robe (cf. les deux premières enluminures),
  • une bande autour de l'ouverture plutôt large du col de la robe,
  • aucune ceinture ou bande ventrale,
  • une sous-robe dont les manches sont également évasées et qui dépassent légèrement de la robe, avec un plissage au poignet,
  • la sous-robe apparaît au niveau du col, souvent fermée par un fermail,
  • la sous-robe peut être plus longue que la robe,
  • le voile replié sur le côté et qui pend jusqu'aux genoux.

3.2°/ Les sources bourguignonnes

Elles proviennent des manuscrits produit à Citeaux et alentours, au début du XIIème. En voici quelques extraits caractéristiques :

Dijon-ms0002-301-detail  Dijon-ms0002-366v-detail Dijon-ms0015-041-detail-02
f. 301 f. 366v f. 41

Dijon, ms 0002, origine :

abbaye de St-Bénigne, 2nd quart XIIème

Dijon, ms 0015, origine :

abbaye de Citeaux, 1009-1111

 

Dijon-ms0014-158-01-detail Dijon-ms0014-158-02-detail Dijon-ms0014-165v-01-detail
f. 158 f. 158 f. 16
Dijon, ms 0014, origine : abbaye de Citeaux, 1009-1111

Les éléments particulièrement remarquables, qui seront discutés ci- après, sont :

  • une robe dont le haut est prêt du corps et le bas relativement ample mais tombant droit en plis,
  • les manches évasées, longues voire très longues (sur la 5ème les manches sont nouées C.Q.F.D.), dont le bord d'une autre couleur (= doublure ?) est généralement replié vers l'arrière et non pas avec une bande rapportée (excepté sur la 3ème),
  • pas de présence notable de bandes en bas de la robe (excepté peut être sur la 1ère),
  • un col relativement simple sans bande (excepté sur la 6ème),
  • une bande ventrale très fréquente,
  • une sous-robe dont les manches apparaissent légèrement si le bras est relevé, et plissées au niveau du poignet,
  • la sous-robe ne dépasse pas en bas,
  • le voile est souvent en deux parties (cf. enluminure 2, 3, 4 et 5), une plaquée sur les cheveux servant de base, et l'autre venant par dessus et pendant sur le côté, sans doute attaché avec des aiguilles.

3.3°/ Les objectifs

Comme mentionné en introduction, le principe du projet est de mixer les sources, sans pour autant tout mélanger, ni changer ce qui pourrait être commun aux deux styles. J'ai donc choisi de faire :

  • une robe dont la forme générale est celle des sources bourguignonnes, donc près du corps en haut et large en plis en bas, avec une bande ventrale. En revanche, des éléments germaniques sont inclus sous la forme de bandes de broderie au bout des manches (au lieu de simplement les retourner), une encolure étroite et profonde fermée par un fermail, avec une bande brodée rapportée autour, et enfin, le fait que la robe n'arrive pas aux chevilles et laisse appraître la sous-robe.
  • une sous-robe de type germanique, ample et "raide" en bas, avec ces manches caractéristiques qui dépassent.
  • des chausses qui arrivent aux genoux
  • des chaussures à bout pointu avec une bande de broderie sur le dessus.

3.4°/ Les suppositions/interpértations

3.4.1 - Les manches de la sous-robe

Un des points les plus surprenants est sans doute la sous robe dont les manches sont évasées et dépassent de la robe. Comme les sources exposées ci-dessus sont plus tardives que la date choisie pour le projet, on pourrait parler d'extrapolation quant à l'existence d'une telle sous-robe. En fait, ce type est déjà présent au XIème siècle, comme l'attestent les images suivantes :


 Egerton-608-020-detail
Egerton-608-088-detail  Harley-2821-101-detail 
f. 20 f. 88v f. 101

Egerton 608 (British Library), origine :

Eternach, 2nd-3ème quart XIème

Harley 2821 (British Library), origine :

Eternach, 3ème quart XIème

Eternach est maintenant au Luxembourg mais faisait alors partie du Saint Empire. En parcourant les sources par origine géographique, on s'aperçoit que ce type de sous robe est une particularité germanique qui perdure jusqu'au XIIIème siècle. On en trouve aussi bien dans l'allemagne actuelle que la suisse, l'autriche, ... Anecdote intéressante, plus on avance vers le XIIIème, plus les manches s'allongent et comportent des plis horizontaux, qui donne un effet de froufroutage, comme le montre les images suivantes :

Engelberg-cod.4-069v-detail
 
Stuttgart-cod.hist.fol.415-076v-detail 
f. 69v f. 76v

Engelberg cod. 4 (suisse), 1147-1178

Stuttgart cod.hist.fol. 415, origine :

Zwiefalten, vers 1162

En 1111, ce type de sous robe est donc parfaitement valable. La question est donc : comment est-elle formée ?

A priori, d'après les enluminures, on peut supposer que la manche est aussi évasée, voire légèrement plus, que celle de la robe. En revanche, on voit bien qu'au niveau du poignet, on retrouve l'aspect des manches plissées classiques. Il y a donc essentiellement deux alternatives : soit cette manche est complètement fermée, soit elle est ouverte au niveau du pendant et se referme au niveau du poignet. On voit sur la plupart des enluminures une ligne partant du poignet et ondulant presque jusqu'en bas de la manche, ce qui laisse penser à une fente. C'est pourquoi j'ai choisi la deuxième option. En revanche, sur d'autre sources, on ne voit pas cette fente. Les deux solutions sont donc sans doute possibles, selon la frilosité de madame !

3.4.2 - la sous-robe apparente

Un choix plus discutable est celui de la longueur de la robe. En effet, il existe finalement peu d'enluminures où la sous-robe est apparente. Et quand c'est le cas, c'est très souvent Marie qui est représentée, avec une pseudo robe dont le bas arrive plus ou moins au genou et part de biais, ou bien lorsqu'elle est assise, auquel cas, on peut facilement imaginer que la robe se "relève". Le problème est donc de déterminer si cette particularité est une convention artistique pour représenter un certain type de personnage ou bien s'il s'agit d'une réalité.

Dans les manuscrits déjà cités, la majeure partie des personnages sont des saints et/ou martyrs non contemporains. En revanche, c'est à peu près moitié-moitié quant à ceux qui ont une sous-robe apparente et ceux qui ne l'ont pas. Vu qu'il n'y a pas de forte majorité, les statistiques me font dire que cette caractéristique n'est pas déterminante. Qui plus est des personnages non saints, mais néanmoins dans un contexte biblique ou symbolique, peuvent avoir une sous-robe apparente. Par exemple :

 


 Engelberg-cod.4-117-detail
Paris-BNF-Latin15675-002v-detail bsb-clm2939-012-detail
f. 117 f. 2v f. 101

Engelberg cod. 4 (Suisse), 1147 - 1178

 Paris BNF, Latin 15675, origine :

Afflighem, 2nd quart XIIème

BSB clm 2939, origine :

Tegernsee ?, 1er tiers XIIème

Les deux premiers cas sont intéressants car la sous-robe semble très plissée, notamment à cause du fait que la robe est un peu plus serrée sur le bas, caractéristique fréquente sur ce type de robe quand on avance dans le siècle.

Mais le plus intéressant est que l'apparition de la sous-robe semble être un phénomène purement germanique. En effet, si l'on écarte les représentations de la Vierge dont on voit très souvent la sous robe, sur environ 2500 enluminures d'origine non germanique, je n'ai trouvé qu'une quinzaine d'exemples. Si on enlève les symboles (Les constellations, la putain de Babylone, l'Eglise, ...), les personnages assis ou à genou, il ne reste plus grand chose. Voici tout de même quelques exemples, plus ou moins significatifs compte tenu de qui ils représentent :


 Angers-ms0807-085v-detail
Paris-StGenevieve-ms0008-007v-12-detail 
f. 85v f. 7v

B.M. Angers, ms 807, origine :

France, 2nde moitié XIIème

 Paris St Geneviève, ms 0008, origine :

Troyes, abbaye de St-Loup ?, 1185 - 1195

 

Reims-ms0023-069v-detail Valenciennes-ms0512-004v-01-detail 
f. 69v f. 4v

B.M. Reims, ms 23, origine :

St Thierry (près de Reims), 1er quart XIIème

B.M. Valenciennes ms 512, XIIème

Il est d'ailleurs remarquable qu'en parcourant les sources tirées des bibliothèques anglaise (British Library, Bodleian, ...) et que l'on tombe sur des sous-robes apparentes, on s'aperçoit que le manuscrit est immanquablement d'origine germanique.

On a donc bien affaire à une particularité régionnale. Correspond-elle pour autant à une réalité historique ? La discussion a déjà eu lieu sur le forum de la "joieuse aguille" ici. Mon opinion personnelle va dans le sens de l'existence de ce style particulier, mais il y a tout autant d'arguments contre. Le seul indice probant vient d'un enluminure citée dans le post que je reprends ci-dessous.

gospels-henry-the-lion

f. 19v

Herzog August Bibliothèque, cod. guelf 105 noviss 2°, origine :

Abbaye de Helmarshausen, vers 1175-1188

 

Dans ce cas, les personnages (Henri le Lion et son épouse Mathilde, fille d'Henri II) sont contemporains du manuscrits. Cependant, on voit là le plus haut statut qui soit, donc pas forcément transposable à ce projet.

 

3.4.3 - Le patronage de la robe

 Les robe XIIème avec des manches évasées ont donné lieu a beaucoup d'interprétations différentes quant à la façon de les patronner. Cette diversité vient en grande partie des statues des porches de l'péoque, où l'on voit de nombreux plis horizontaux au niveau de l'abdomen, verticaux au niveau du bas de la robe, et plus ou moins obliques au niveau des épaules. En voici des exemples tirés du portail ouest de Chartres.

NDChartres-port.ouest-statues-0039-mini NDChartres-port.ouest-statues-0048-mini
Chartres, portail ouest

Ces deux photos montrent les éléments caractéristiques de la robe :

  • un col avec un empiècement relativement large, brodé et sans doute empierré, avec un amigaut très long,
  • des broderies sur le bords de la manche (à ne pas confondre avec les broderies du bord de la cape)
  • des plis horizontaux marqués à l'abdomen,
  • des plis verticaux très nombreux et rapprochés au niveau pour le bas de la robe,
  • une bande (brodée ou galon) qui délimite la partie buste de la partie robe.

A cela s'ajoute les éléments suivants :

  • une ceinture, sans doute en galon, qui passe deux fois devant, au dessus puis au dessous de l'abdomen, dont la boucle en noeud de 8 se positionne sous la galon précédemment cité. Cette ceinture se termine en pendouillant devant.
  • une sous-robe apparente au niveau du col (cf. ci-dessous pour des exemples plus probants)
NDChartres-port.ouest-statues-0146-mini NDChartres-port.ouest-statues-0214-mini NDChartres-port.ouest-statues-0337-mini
Chartres, portail ouest

 

Sur ces photos, on voit particulièrement bien la "dynamique" des plis du tissu, au niveau du col, de la poitrine et de l'abdomen. Sur ces modèles, l'empiècement de col est moins large que sur les photos précédentes mais on distingue bien la sous-robe avec des sortes de cannelures et sans doute fermée par un fermail. Sur le dernière photo, on voit que le personnage central n'a pas des manches extrèmement évasées alors que celui de droite semble avoir carrément rabattu le pendant de la manche sur le poignet.

 

NDChartres-port.ouest-statues-0157-mini NDChartres-port.ouest-statues-0158-mini
Chartres, portail ouest

 

Un des éléments les plus troublant concernant le patronage est la présence de cette bande qui sépare nettement le buste de la jupe. Ces deux photos présentent le devant et le derrière d'un même personnage, montrant que la bande fait bien tout le tour de la taille. Qui plus est, celle-ci est très bizarre puisqu'elle comporte des petits triangles. On notera que l'on retrouve exactement la même bande en triangles sur un personnage de Notre-Dame du Mans.

 

Pour patronner la robe, j'ai sélectionné des parties d'interprétations existantes, auxquelles j'ai ajouté les miennes. Pour résumer :

  • les plis de l'abdomen sont créés grâce à deux effets : un buste plus long (d'environ 10cm) qu'il ne le faudrait, plus un laçage latéral sur les deux côtés. En effet, le trop plein de tissu est remonté au niveau de la taille et maintenu en place grâce au serrage des lacets. De plus, les hanches étant plus larges que la taille, cet excédent de tissu ne peut redescendre et reste en place formant des plis horizontaux.
  • les plis des épaules se forment naturellement par simple effet de surface de tissu par rapport aux courbes du corps. A priori, le tour de poitrine est plus grand que le tour d'aisselles. Donc s'il y a la même largeur de tissu au niveau de la poitrine et au dessus, alors quand le tissu est "tendu" sur la poitrine, il y a trop de tissus au dessus, d'où les plis.
  • devant être lacée sur les côtés, la partie buste est ouverte des deux côtés et son périmètre total est plus petit (d'environ 8 cm) que le tour de taille, afin de toujours laisser apparaître la sous-robe jusqu'aux hanches
  • la partie jupe est réellement une jupe mais cousue à la partie buste. Pour provoquer des plis verticaux, le périmètre du haut de la jupe est plus important que celui du bas du buste. Les plis sont aussi provoqués par l'ampleur importante que l'on obtient avec des godet latéraux et centraux.
  • la bande ventrale permet de cacher la couture entre la jupe et le buste. Comme cette bande se porte au niveau de la taille, elle ne peut absolument pas être fermée, sinon la robe ne passe plus au niveau des épaules, dont le tour est plus grand que celui de la taille. Cette bande est donc uniquement cousue sur le devant de la robe et un système de lacet permet de joindre les deux bouts à l'arrière.
  • l'empiècement du col devant être relativement large, il est coupé en forme de goutte d'eau (pointe en bas) afin de ne pas faire de plis malencontreux et de laisser apparaître largement la sous-robe.

Les lecteurs avertis feront remarquer que le laçage sur les côtés est avéré mais plus tardivement, notamment sur une statue de Saint Maurice d'Angers (mi XIIème) et dans le manuscrit "Hortus Deliciarum" (fin XIIème). Ce point constitue sans doute le plus grand écart du projet par rapport aux sources, d'autant plus que certains tests prouvent qu'il est possible d'obtenir des plis horizontaux sans laçage. Quant aux autres suppositions, notamment la robe en deux parties, elles ne seront sans doute jamais tranchées, n'ayant aucune source textile existante.

 

 

4°/ La réalisation

4.1°/ La sous-robe

Le tissu est un lin blanc, tissé en chevrons mais d'une façon particulière puisque selon l'incidence de l'éclairage, il chatoie légèrement. Le tissu est très épais, même plus que certains lin d'ameublement, sans en avoir le côté rèche. Son poids lui permet de tomber bien raide afin d'obtenir le même effet que sur les enluminures germaniques. A l'usage, cela cantonne la sous-robe a un usage hivernal, surtout compte tenu du buste de la robe qui est moulante.

Sa réalisation pose deux problèmes :

  • les manches évasées, ouvertes sur le pendant mais fermées et plisées au poignet,
  • le col d'aspect gaufré.

Pour le premier point, je n'ai trouvé aucune astuce particulière mais j'ai cherché à économiser un peu le tissus. J'ai donc patronné la manche en deux parties, un trapèze pour le biceps et la partie avant directement avec sa forme finale comme le montrent les photos ci-dessous.

 costume-gaelle-XIIeme-0002-mini costume-gaelle-XIIeme-0003-mini

sous-robe : la manche sur l'envers, avant et après la couture des bords et de l'ourlet

Comme j'ai choisi de laisser le pendant ouvert, j'ai fait un ourlet très large qui rabat le tissu à l'intérieur du pendant. A noter également le léger arrondi à la jointure entre le pendant et le bras. Quand on regarde l'ouverture du pendant de face, on obtient bien le même effet que sur les enluminures, comme on peut le voir sur le comparatif ci-dessous.

Stuttgart-cod.bibl.fol.56-057v-mini costume-gaelle-XIIeme-0016-mini2
f. 57v  

Stuttgart WLB, cod. bibl. fol. 56, <

origine : abbaye de Zwiefalten, 1125-1130

le pendant de la sous-manche, en situation

La principale difficulté du patronage a été de trouver les bonnes dimensions. En effet, sur les enluminures, le pendant dépasse de la manche de la robe sur l'avant mais aussi en bas. Contrairement à ce que l'onpourrait penser, il n'y a pas besoin de faire le pendant plus long que sur la robe pour obtenir l'effet du bas. Il suffit de le couper exactement à la même longueur. En revanche, pour le dépassement avant, il faut effectivement couper la manche un peu plus grande, dans le cas présent, 2cm de plus, une fois l'ourlet rabattu. Point négatif, le bout de la manche ne plisse pas assez. C'est juste du au tissu employé qui est trop épais pour obtenir un plissé marqué. A noter que pour obtenir le froufroutage du pendant constaté sur les enluminures plus tardives, il conviendrait certainement d'utiliser un lin fin et fluide et de revoir le patronage, notamment en faisant un pendant plus long et, à mon avis, fermé.

Pour le col, j'ai également fait au plus simple, à savoir un empiècement très large que j'ai surpiqué à intervalles régulier en suivant le contour. Comme le tissu est épais, on obtient bien des cannelures parallèles. En revanche, j'ai seulement fait 3 surpiqûres, ce qui produit un effet différent des statues, plus en rapport avec cette enluminure :

Douai-ms0309-084-detail
f. 84
Douai B.M., ms 0309, XIIème

Le reste de la sous-robe est patronné de manière très classique :

  • un grand rectangle avec un trou au milieu pour le col,
  • deux godets latéraux fait en deux triangles. Ils sont découpés afin d'avoir le droit fil à la couture avec le rectangle principal et le fil de biais à la couture entre triangles. A noter que je les ai coupés en triangle rectangle puis retaillés une fois la couture terminée, afin d'éviter que les côtés ne tombent pas plus que le devant.
  • deux godets centraux, en forme de triangles isocèles.
  • les godets vont du bas jusqu'à la taille.

Un peu de couture, moitié main, moitié machine et on obtient le résultat suivant :

costume-gaelle-XIIeme-0004-mini costume-gaelle-XIIeme-0005-mini
La sous-robe

Le rendu final est celui que je recherchais, avec un tombé raide et des plis larges qui partent du haut des hanches jusqu'en bas.

4.2°/ La robe

Le tissu est un drap de laine rouge très fine, tissé en sergé et très légèrement élastique ce qui convient bien au projet. La doublure est un satin de soie vert d'eau. Les bandes de décoration sont dans un taffetas de soie jaune d'or, tissé en toile, afin de faciliter le travail de broderie.

4.2.1 - Le patron

Le patronage est entièrement basé sur des polygones, pour minimiser les pertes de tissu. Comme indiqué plus haut, la robe est composée de trois parties cousues ensembles : le buste, la jupe, les manches. Chaque partie est elle-même composée de plusieurs pièces. Le schéma ci-dessous (en haute résolution ici) donne les dimensions des pièces (sans les valeurs de couture).

 patron-mini
Le patron de la robe

Quelques remarques sur cette image :

  • La proportion des tailles des pièces est respectée.
  • Les pièces sont écartées de 4cm les unes des autres, pour simuler l'espace pris par les valeurs de couture.
  • L'ensemble tient dans un lai de 145cm de large et 280cm de long.
  • Ce patron tient compte d'un tissu ayant deux faces différenciées (comme c'est le cas pour le satin).
  • Pour gagner un peu d'espace, les godets centraux (trapèzes annotés b,c et g,f) peuvent être fait en deux parties. Cela permet de réorganiser les pièces pour faire tenir le tout dans moins de 140cm de large, tout en ayant des pièces un peu plus larges (cf. NB ci-dessous)
  • l'amplitude du bas de la robe est de 186cm, ce qui donne une circonférence de 372cm, soit autant que la sous-robe.

La robe étant entièrement doublée, les pièces sont découpées dans la laine et la soie.

NB : petit conseil à ceux qui n'ont jamais fait une doublure en satin de soie. Pour éviter que la soie s'effiloche, surfiler avec un simple point zig-zag ne suffit pas. Il vaut mieux rabattre le bord de 5mm et faire le point zig-zag sur le rabat. Pour les perfectionnistes, vous pouvez même rabattre deux fois, histoire d'avoir le bord du tissu enveloppé dans les rabats, comme pour un ourlet. Mais attention, ce faisant, la soie se rétracte et se tord, notamment sur les bords taillés dans le biais du tissu. Par exemple, vous obtenez des godets en forme de banane. Il faut donc prévoir cette rétractation et couper la doublure plus grande que la pièce à doubler. Déterminer de combien est difficile car cela dépend de la forme de la pièce. Pour cette robe j'ai pris entre 0.5 et 1cm de plus. Or, sur les godets de la jupe, notamment les centraux, ce n'était vraiment pas assez, ce qui m'a obligé à faire des ajouts. Moralité, prévoyez large. Par exemple, si votre pièce fait 32x42cm, c'est-à-dire 30x40 plus 1cm de valeur de couture tout autour, alors découpez votre doublure en 36x46, à savoir 1cm pour la valeur de couture, 0.5cm pour le rabat anti-effilochage et 1.5cm pour prévoir la rétractation.

 L'assemblage est relativement logique compte tenu de la forme des pièces. La seule subtilité est pour la jupe où j'ai indiqué par des lettres quels côtés sont cousus ensembles. Ensuite, la jupe est cousue en alignant le centre des godets centraux avec le centre du buste. Comme le haut de jupe fait 19+8+19 = 46cm de large, il est plus large que le bas du buste, ce qui est normal puisque le bas du buste doit rester ouvert sur les côtés et surtout que le tour du haut de la jupe (92cm dans le cas présent) doit permettre d'enfiler la robe sans trop coincer au niveau de la poitrine.

 4.2.2 - Le laçage

Pour les attaches des laçets, j'ai repris le principe des robes espagnoles, que l'on retrouve également sur une statue de St Maurice d'Angers :

 StMaurice-Angers-XIIeme
St Maurice d"Angers (photo prise sur le Net)

Il s'agit de bandes étroites appliquées sur le bord des ouverture du buste. Elles sont cousues à intervalles réguliers afin de former des passants pour un unique lacet (par côté) qui passe en formant des Z.

Pour la robe de gaëlle, j'ai  fait des bandes d'environ 1.5cm, avec quatre épaisseurs de tissu rouge. J'ai cousu en faisant des passant de 3cm. Compte tenu de la grosse tension qui d'exerce, j'ai fait des coutures renforcées, en rectangle. Les lacets sont des galons à 4 cartes, en soie jaune et rouge. comme on le voit sur la photo ci-dessous, il n'y a qu'un seul lacet par côté, formant des Z dans les passants.

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Le système de laçage

 

4.2.3 - La bande ventrale

Comme dit plus haut, un des mystères concernant ce type de robe est la présence d'une bande ventrale au niveau de la taille. A mon avis, elle vient simplement masquer la couture entre le buste et la jupe, mais sa fonction n'est pas le point le plus problématique. A moins d'être taillée comme un homme (et encore), une femme ne peut pas enfiler la robe si la bande a une longueur égale à son tour de taille, quand bien même sa poitrine serait aussi peu proéminente que sur les statues. Cette bande est donc une ceinture qui se noue dans le dos et qui s'ouvre pour permettre d'enfiler la robe. Comme on ne voit jamais le dos des statues et que les enluminures ne sont jamais très détaillées, je n'ai trouvé qu'une seule image permettant d'appuyer cette hypothèse : une enluminure Italienne de la fin XIIème.

ll y a alors deux options : soit elle est complètement amovible, soit elle est à moitié cousue. J'ai choisi la deuxième option pour éviter que la bande ne bouge et remonte vers la poitrine. J'ai cousu uniquement sur la partie avant du buste afin que les ouverture latérales puissent rester libres d'être agrandies lors de l'enfilage et resserées après. Pour nouer la ceinture, j'avais d'abord pensé à un système d'épingle ou de crochet. Le dos étant propice aux appuis répétés, j'ai finalement opté pour un laçage. De ce fait, j'ai cousu la bande de décoration en soie sur une bande en tissu rouge de même largeur, afin d'éviter que la soie ne se déchire sous la tension.

Troyes-ms0060-209-detail  costume-gaelle-XIIeme-0015-mini
B.M. Troyes, ms 0060, f.209, origine : Italie, fin XIIème< L'attache de la bande ventrale

 

4.2.4 - Les broderies

J'ai dessiné les broderies à partir de formes géométriques simples (cercles, carrés, arcs, ...) pour rappeler les motifs que l'on trouve sur les enluminures et statues. Le travail de broderie a été fait par gaëlle en utilisant le taffetas jaune comme support et  pour le fil, de la soie ovale de la société "au vers à soie" (n°225 pour le vert et n° 945 pour le rouge). Les points utilisés sont le point de tige et le point fendu. C'était son premier essai de broderie soie sur soie et à part quelques écarts, le résultat "claque". Pour l'instant, seuls le col et la bande ventrale sont terminés mais j'ai bonne espoir d'ajouter bientôt les décorations des manches.

Après assemblage, j'ai cousu de perles d'eau douce sur le col, des améthystes sur la bande ventrale et des grenats sur les manches.

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La broderie du col, avant montage La broderie du col la bande ventrale<

 

4.2.5 - Le rendu

 Voici quelques photos pour illustrer le rendu. Elles ont été prises à différents moments de l'assemblage et montrent parfois la robe non complète.

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La robe (1)
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La robe (2 & 3)
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La robe (4 & 5)

Quelques remarques :

  • Sur les photos 2 & 3, on remarque un petit triangle blanc en dessous de la bande ventrale, sur la hanche. Normalement, la sous-robe ne devrait pas être visible à ce niveau : la jupe de la robe passe sous la bande ventrale. Malheureusement, j'ai sous-estimé le poids de la doublure qui tire la robe vers le bas. De ce fait, on voit que les côtés de la robe tombent plus bas que le devant.
  • Comme on le voit sur la photo 2, je n'ai pas cousu le dessous des manches jusqu'à leur jointure avec le buste. Sur une robe classique, il y aurait un gousset d'aisance. Dans le cas présent, l'absence de gousset me semble plus cohérente avec le style "on voit la sous-robe"
  • La photo 4 donne un détail du col. On remarque que la sous-robe est apparente au niveau de l'amigaut, mais pas du cou. Il aurait sans doute fallu élargir un peu plus l'ouverture et/ou retrécir celle de la sous-robe.
  • La photo 5 montre une vue de face où l'on aperçoit bien les plis ventraux, ceux de la poitrine, des épaules. La jupe tombe en plis larges, surtout sur les côtés. Le pendant de la manche tombe bien droit, avec une certaine raideur. Tous ces points sont conformes aux sources. Il subsiste juste un problème de doublure à régler pour éviter le "gonflement" du bas de la robe.

En conclusion, à part quelques erreurs (dont certaines seront corrigées pour la version finale), le rendu correspond parfaitement à mes attentes.

 

4.3°/ Les "accessoires"

Cette partie présente les 3 éléments venant compléter le costume : les chausses, la ceinture, et les chaussures.

4.3.1 - Les chausses

J'ai utilisé un tissu mélangeant la laine et la soie, d'un vert d'eau proche de celui de la doublure. Le patron est en 3 pièces : une qui enveloppe le mollet et le talon, et 2 autres pour le dessus et le dessous du pied. Il y a donc une couture sous le talon et une autre sur le pourtour du pied. Cet type d'assemblage semble être celui utilisé dans les exemplaires de l'époque. Elles sont nouées au dessous du genou avec un cordon de soie tressé aux doigts (par Gaëlle).

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Les chausses

4.3.2 - La ceinture

La ceinture avec les pendouillous n'est quasi jamais représentée dans les enluminures mais presque toujours sur les statues. Sur ces dernières, la ceinture fait souvent deux fois le tour de l'abdomen, passant en haut, puis de rejoignant au niveau du pubis grâce à un noeud de 8 (cf. 2ème photo de Chartres). Cette caractéristique n'est pas présente sur les enluminures, en tout cas celles du début XIIème. Les images ci-dessous donnent une comparaison.

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St Alban Psalter, f. 57, origine : Angleterre, vers 1125 Chartres, portail ouest

Comme on peut le constater, cette ceinture est sans doute un galon dont les extrémités sont "en tube". Soit le galon est directement tissé en tube, soit les fils sont tressés pour former un cylindre. Comme on peut le constater, des noeuds sont présents sur les pendouillous, ce qui me fait dire que c'est plutôt une tresse qu'un tube.

En examinant d'autres statues on découvre d'autres caractéristiques intéressantes de ces ceintures, comme le montrent ces deux photos, d'une même statue :

NDChartres-port.ouest-statues-0132-mini NDChartres-port.ouest-statues-0139-mini 
Chartres, portail ouest

 On remarque que la ceinture se termine cette fois par deux tresses, solidarisées par un noeud à plusieurs endroits, et se terminant par au moins 3 extrémités distinctes avec un noeud au bout.

Pour la ceinture du costume, j'ai repris ce principe avec un galon aux extrémités tressées, qui ne fait qu'un seul tour de l'abdomen. J'ai créé un motif géométrique simple en accord avec le reste et Gaëlle a tissé le galon en utilisant des fils de soie. Le seul problème a été la grosseur des fils qui a donné un galon assez large et surtout des tresses trop épaisses. Plutôt que de couper des fils, j'ai préféré faire trois tresses au lieu de deux. Pour l'instant, je n'ai pas fait de noeuds sur les tresse, pour faciliter l'exécution du noeud de 8.

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La ceinture

4.3.3 - Les chaussures

Bientôt ... peut être !

 

5°/ Les photos

Voici quelques photos de l'ensemble, pour l'instant incomplet. D'autres s'ajouteront en temps voulu.

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A suivre ...

Hervaldsheim Textile Réalisations Costume féminin de noble, début XIIème, est de la France