Hervaldsheim Textile Réalisations Costume masculin de noble, début XIIème, est de la France

Costume masculin de noble, début XIIème, est de la France

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1°/ Préambule

Ce projet de reconstitution s'appuie essentiellement sur des enluminures et particulièrement celles produites par l'abbaye de Citeaux, en bourgogne. Il comporte donc une grosse part d'interprétation et de choix personnels quant à certains points encore flous, notamment sur la forme des couches intermédiaires du costume, ainsi que certains éléments tels que la "fameuse" ceinture banane (cf. § 4.2). Pour chaque élément du costume, je  m'efforcerai d'expliquer ce qui est à peu près sur et de justifier mes choix.

2°/ Contexte historique

Ce projet a pour origine la création d'un alter ego médiéval dont la date de naissance me correspondrait et qui vivrait il y a 900 ans donc en 1111. Le cadre devait en être la commune où j'habite, Eschène (devenue par regroupement Autrechène), dont l'origine est très ancienne puisque l'on retrouve en 1104 son nom dans une donation du prieuré dont elle dépendait. Après quelques recherches, j'ai forgé l'histoire d'un personnage dont voici quelques éléments.

 

Eschène se trouve dans le Comté de Ferrette, issu de l'éclatement du comté de Montbéliard en deux parties à la succession de Thierry 1er de Montbéliard, en 1104. A l'origine, le comté de Montbéliard était un des morceaux issu de l'ancien Comté de Bourgogne, dont les limites sont quasi celles de notre Franche-Comté actuelle. A noter que le Comté de Bourgogne a été rattaché au Saint Empire Germanique en 1037. Eschène en fait donc également partie.

Hervald d'Eschène (ou Quercubus en latin) est le seigneur d'un ensemble de villages se trouvant à la frontière entre le Comté de Ferrette et celui de Montbéliard. Il est le vassal de Frédéric 1er (qui prendra le titre de comte en 1125), qui l'a chargé de garder la frontière contre les ravages et pillages fréquents que commettent les troupes de Thierry II de Montbéliard.

En 1111, Frédéric 1er se marie avec la fille du Duc de Souabe. Le costume du projet est celui que porte Hervald à cette occasion.

Chose amusante, le manuscrit dont l'enluminure a inspiré le projet date lui aussi de 1111.

3°/ Description du projet

Le projet comporte essentiellement 4 éléments : une tunique, une chemise (quoique pas forcément portée à même la peau), une paire de chaussures et une ceinture. Les chausses étant somme toute quelconques, elles ne seront pas abordées.

Le point de départ est l'enluminure suivante :

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Dijon, ms 0168, f. 4v. origine : abbaye de Citeaux, 1111

Les éléments particulièrement remarquables, qui seront discutés ci- après, sont :

  • les manches évasées de la tunique,
  • la fente sur le devant ou le côté de la tunique,
  • les diverses bandes de décoration de la tunique,
  • la ceinture "banane", nouée avec un noeud et des pendouillous se terminant par des glands.

4°/ Les sources.

Pour créer un peu plus qu'une inspiration historique de costume, j'ai commencé par rechercher d'autres sources pour chaque élément, l'objectif étant de voir si cette enluminure a des chances de représenter un costume réel et pas une simple licence artistique. Pour cela, j'ai utilise un stock de plus de 2100 enluminures, tirés des manuscrits XIIème siècle des bilibothèques françaises (municipales, BNF, St Genevieve et Mazarine), de la British Library, de la Bodelian Library et de bibliothèques suisses. Il manque pour l'instant des sources d'origine germanique, ce qui auraît été souhaitable compte tenu du contexte géographique du projet.

4.1°/ La tunique

C'est l'élément central du costume et il pose deux problèmes :

  • les manches évasées pour les hommes,
  • la présence d'une fente et de son emplacement.

Les bandes de décoration sont relativement classiques sur les costumes nobles, notamment au biceps et en bas de tunique. En revanche, la présente d'une bande ventrale est assez rare.

 

4.1.1°/ Les manches

Concernant le premier point, on remarque beaucoup de manches évasées sur les personnages de haut rang, qu'ils soient religieux ou non. Cependant, la présence de manches très ouvertes comme sur l'enluminure est extrêmement rare. J' ai comptabilisé seulement 5 manuscrits (dont le dijon ms 0168) où elles sont présentes, dont je donne les détails ci-dessous.

Dijon-ms0014-013-09-detail-01 Dijon-ms0014-013v-05-detail-01 dijon-ms0014-013v-05-detail-02 dijon-ms0014-056-detail

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f. 13 f. 13v f. 13v f. 56 f. 128v
Dijon, ms 0014, origine : abbaye de Citeaux, 1009-1111

 

dijon-ms0173-029-detail-01 dijon-ms0173-174-detail
f. 29 f. 174

Dijon, ms 0173, origine : abbaye de Citeaux, 1009-1111

 

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f. 74v
Tours, ms 0924, origine : Tourraine, vers 1100 

NB : Phormion est bien un personnage masculin dans la pièce de Terence, illustrée dans ce manuscrit.

 

 Lansdowne-383-005-detail
f. 5
Lansdowne 383, origine : Angleterre, premier quart XIIème

NB : on remarque que cette enluminure est fort ressemblante à celle de Citeaux, ce qui n'est guère surprenant compte tenu du nombre important de manuscrits qui ne sont que des copies.

On peut noter plusieurs choses à propos de ces enluminures :

  • Elles sont majoritairement de l'abbaye de Citeaux, ce qui indiquerait un particularisme régional, tout au moins dans les choix de représentation des personnages.
  • Si l'on compare la qualité générale des enluminures de cette abbaye par rapport aux manuscrits produits dans d'autres centres, il apparaît qu'elle est supérieure, tant au niveau de l'exécution que du souçi du détail. On peut donc s'attendre, hors licence artistique et colorisation, a une représentation peut être plus proche de la réalité. Bien entendu, c'est peut être totalement l'inverse !
  • Les personnages représentés se répartissent principalement en deux catégories : des combattants et des musiciens. Dans le premier cas, ils luttent contre des zoomorphes, ou bien chassent au faucon. Dans le deuxième cas, ils accompagnent le roi David et peuvent sans doute être assimilés à des troubadours, donc nobles. Peut être faut-il voir un rapport entre les deux : par exemple la représentation naissante du chevalier idéal, le musicien/poête, combattant le mal. Cela dit, la présence de Phormio dans le lot, qui est assimilé à un parasite dans la pièce de Térence, vient  perturber cette hypothèse. En tout cas, à part sur l'exemplaire avec un roi (David), ce type de tunique ne semble pas être associé à la couche la plus haute de la noblesse.
  • Comme pour les robes de femmes à grandes manches, le point de départ de l'évasement est très variable. Il peut aussi bien partir du code que du milieu de l'avant bras, voir quasi au poignet.

Dans tous les cas, au moins une source archéologique atteste ce type de manche, quoique plus tard dans le moyen-âge. Reste surtout la question du patronage d'une telle manche.

 4.1.2°/ Les fentes

Concernant la fente, deux options se présentent : devant/derrière ou bien sur les cotés. De part les perspectives complètement faussées de la plupart des enluminures, il est relativement dur de choisir entre ces deux solutions, notamment sur celle qui sert de base au projet. J'ai donc procédé comme avec les manches et fait une liste la plus exhaustive possible de fentes avérées sur des tuniques. J'ai enlevé de cette liste les tuniques de personnages à cheval, celles que l'on voit parfois dépasser sous les cotes de maille, ainsi que les cas équivoques où l'on ne sait pas si la tunique , relevée sur les cotés et coincée dans la ceinture, est fendue ou non. Comme pour les manches, les fentes sont rares. J' ai relevé environ 25 enluminures, réparties sur 13 manuscrits. En voici la plupart :

Dijon-ms0014-013-08-detail Dijon-ms0014-044v-detail-01 Dijon-ms0014-064-detail
f. 13 f. 44v f. 64

Dijon, ms 0014, origine : abbaye de Citeaux, 1009-1111

 

Dijon-ms0014-064v-detail Dijon-ms0014-122v-detail Dijon-ms0014-128v-detail Dijon-ms0014-165v-detail Dijon-ms0014-173-detail Dijon-ms0014-191-03-detail-02
f. 64v f. 122v f. 128v f. 165v f. 173 f. 191

Dijon, ms 0014, origine : abbaye de Citeaux, 1009-1111

 

Dijon-ms0015-041-detail Dijon-ms0015-099v-detail Dijon-ms0168-004v-detail-02 Dijon-ms0173-007-detail Paris-BNF-Latin17210-001v-detail Paris-BNF-Latin17768-013v-detail

Dijon, ms 0014, f. 41

Dijon, ms 0014, f. 99

Dijon, ms 0168, f. 4v

Dijon, ms 0173, f. 7

BNF, latin 17210, f. 1v [espagne]

 BNF, latin 17786, f. 13 [picardie]

 

Paris-BNF-naLatin214-092-detail Paris-StGenevieve-ms0009-125v-detail Paris-StGenevieve-ms0077-151v-detail Troyes-ms02391-225v-detail Valenciennes-ms0500-057-detail

BNF, n/a latin 214, f. 92 [limousin]

St Genvieve ms 0009, f. 125v [Troyes]

St Genvieve ms 0077, f. 151v [Picardie]

Troyes ms 02391, f. 225v

Valenciennes ms 0500, f. 57

 

Harley-2895-009-detail Lansdowne-383-003-detail Lansdowne-383-004v-detail Lansdowne-383-057-detail

Harley 2895, f. 9 [France]

Lansdowne 383, f. 3 [Angleterre]

Lansdowne 383, f. 4v [Angleterre]

Lansdowne 383, f. 57 [Angleterre]

On remarque que :

  • certaines enluminures montre clairement une fente sur le devant et d'autres clairement sur les côtés.
  • dans le premier cas, la fente de derrière n'est pas forcément visible. On peut donc se poser la question de son existence.
  • la plus intéressante est sans doute BNF, Latin 17210, f. 1v, d'origine espagnole. On voit clairement une sous-couche blanche à la tunique, qui arrive en gros sous le genou et qui n'est pas fendue. C'est le seul cas où l'on voit quelque chose sous une tunique fendue autre que les chausses. Sur les enluminures où les manches sont larges, on remarque souvent une sous couche dont les manches sont serrées et plissées. Cette sous-couche est peut être une chemise ou bien une couche intermédiaire entre la chemise de corps et la tunique. Quoiqu'il en soit, on ne voit jamais dépasser cette couche à travers la fente de la tunique. Se pose donc la question de la forme de cette couche : s'arrêtant à la hanche ? au genou mais jamais représentée ?
  • même si les fentes sont particulièrement représentées dans les manuscrits de Citeaux, la diversité géographique laisse penser une certaine omniprésence dans le quart nord-est de la France, mais rare. De plus, Lansdowne 383 est le seul manuscrit anglais présentant des fentes. Le style fendu est donc peut être quasi absent de l'ouest de la France et de l'Angleterre. Une étude des sources germanique pourrait renforcer ces hypothèses.

 

4.1.3°/ les bandes de décoration

La présence de bande de décorations se fait principalement autour du col, en bas de tunique, aux bout des manches, aux biceps, aux cuisses, verticale sur le torse voire jusqu'en bas et sur le ventre.Selon les enluminures ou les statues, on distingue nettement si la décoration est brodée ou bien en galon. Les deux se font. Dans certains cas, on peut même distinguer l'emplacement des pierres dans la broderie.

Dans le cas de l'enluminure de référence, on ne peut pas se prononcer. En revanche, deux questions se posent : pourquoi le bout des manches n'est pas décoré et pourquoi la bande ventrale est aussi large et en triangle ?

La réponse à la première question n'est pas triviale. En effet, sur bon nombre d'enluminures et de statues représentant des femmes avec de grandes manches, on voit très souvent des décorations en galon ou brodées sur le bord des manches. Si l'on se réfère aux images ci-dessus, les contre-parties masculines ne sont jamais décorées. Tout au plus, elles sont doublées et retournées. L'origine de cette différence vient sans doute de l'aspect très particulier de la manche au niveau du poignet : des "coins" pendouillent de chaque côté du bras. Une interprétation possible [NDLR : que m'a soufflée Gaëlle de la joyeuse aiguille ... merci ], est que la manche est en fait fendue à sur sa dernière partie. Après avoir fait quelques tests sur des chûtes de tissu, cette fente permet effectivement d'obtenir le même drapé que sur les enluminures. Cela n'empêche pas en soi la présence d'une décoration mais celle-ci rigidifierait sans doute le bord, empêchant le tombé particulier. De plus, la couture des extrémités de la bande, de chaque côté de la fente, ne serait sans doute pas très esthétique.

Pour la deuxième question, je n'ai pas vraiment de réponse. Les bandes ventrales sont très rares sur les hommes et de préférence sur les religieux. Il y a cependant des exemples mais encore une fois, souvent tirés de manuscrits de Citeaux (cf. images ci-dessus). La forme particulière, en triangle, de l'enluminure de référence est vraiment étrange et je ne l'ai retrouvée sur aucune autre, même sur les costumes féminins. Il peut donc s'agir simplement d'un effet de style. Quant à sa largeur, elle est moins étonnante. Certaines robes de femmes ont également des bandes ventrales larges. La  présence de cette bande pourrait masquer une couture entre le haut et le bas de la robe féminine, ce qui expliquerait notamment les différences de plissage que l'on constate sur les statues et quelques rares enluminures. Serait-ce également le cas pour les hommes. La question est ouverte.

 

4.2°/ La ceinture

La ceinture constitue une énigme totale. Premièrement, très peu de ceintures, à part les baudriers, sont visibles sur les enluminures début XIIème. Qui plus est, à quelques rares exceptions, on ne voit jamais le noeud ou la boucle qui permet de nouer la ceinture. Deuxièmement, la forme de celle-ci est vraiment remarquable, rappelant les ceintures de force actuelles. Au final, j'ai pu dénombrer à peine une dizaine d'exemplaires de cette ceinture dont voici les plus remarquables.

Dijon-ms0014-044v-detail-01 Dijon-ms0014-128v-detail Dijon-ms0173-066-detail Paris-BNF-Latin15675-008-detail

Dijon, ms 0014, f. 44v

Dijon, ms 0014, f. 128v

Dijon, ms 0173, f. 66

BNF, Latin 16743, f. 8

 

StQuentin-ms0001-034-detail StQuentin-ms0001-036-detail Royal-1CVII-092-detail

St Quentin, ms 0001, f. 34

St Quentin, ms 0001, f. 36

Royal 1 C VIII, f. 92

J'ai mis l'enluminure anglaise malgré le fait que les ceintures ressemblent plus à une écharpe nouée autour de la taille. De même, celle de la BNF présente plutôt des ceintures sacerdotales. Pour les autre on remarque que le format est identique : élargissement à l'arrière et deux pendouillous se terminant par des glands/noeuds. On voit également que les personnages ne sont pas spécialement dans une situation nécessitant de la force.

Histoire de compléter le mystère, voici une dernière enluminure, représentant une femme

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DIjon, ms 0002, f. 366v

Hormis l'absence de pendouillou, la ressemblance est frappante.

4.3°/ Les chaussures

C'est un des éléments du costume qui demande le moins de réflexion. Ce type de chaussures est extrêmement présent dès lors qu'un noble est représenté. Qui plus est, il correspond a des exemplaires retrouvés en fouille. Voici deux gros plans, tirés des enluminures de Citeaux:

Dijon-ms0014-013-09-detail-02 Dijon-ms0173-029-detail-02

 

On remarque que la chaussure est pointue et très ouverte sur le coup de pied. De plus, elle semble comporter une bande centrale, peut être brodée, ce qui se retrouve sur les exemplaires de fouille, bien que ce soit plutôt pour les chaussures féminines.

4.4°/ Conclusion

Comme on l'a vu, de nombreux éléments de l'enluminure de référence sont hors norme voire carrément mystérieux. La première question qui se pose est donc : est-ce un pur "délire" artistique ou bien la représentation d'une réalité historique ? Et dans le second cas, les différents éléments forment-ils un ensemble cohérent par rapport au type de personnage représenté ? Etant au raz des pâquerettes en histoire de l'art, je ne peux pas vraiment avoir une vision objective, si tant est que ce soit possible dans ce domaine. Cela dit, des raisons me poussent à voir dans cette enluminure une représentation assez fidèle d'un exemple, peut être rare, de costume nobiliaire.

En effet, les enlumineurs utilisent généralement les éléments de leur époque pour travailler. Les exceptions notables sont les manuscrits copiés siècles après siècles sans réel changement. Ainsi peut-on avoir un magnifique guerrier carolingien voire romain dans certains manuscrits XIème. Il y a aussi des éléments qui ont une très forte symbolique (par exemple pour marquer les rois, les juifs, les religieux, ...), et ne sont pas forcément associés au reste du costume dans la vie réelle. Or, les personnages représentés n'ont pas une symbolique commune clairement identifiable, ce qui laisse supposer une certaine cohérence dans le costume. Si de plus, on prend pour hypothèse que les enlumineurs ne font pas spécialement preuve de créativité en inventant des vêtements (même ceux qui sont symboliques), que les manuscrits précités ne sont pas des copies, alors il est parfaitement concevable que ce genre de costume soit totalement historique et surtout contemporain du manuscrits.

C'est également cette non-creativité patente qui me fait avancer un dernier argument, statistique : vu le nombre de caractères surprenants concentrés dans un seul costume, il est plus probable que ce soit une représentation exacte plutôt qu'imaginaire. Bien entendu, cet argument est discutable mais la règle de Saint Benoit (dont dépendait Citeaux) n'est pas réputée pour ses extravagances.

 


5°/ Le matériel

5.1°/ Le tissu

De part le drapé des manches, je me suis orienté vers un drap de laine le plus fin possible. J'ai fini par dénicher l'oiseau rare dans le quartier St pierre à Paris : un magnifique coupon de 3m violet soutenu, pour 25 €. Bien entendu, les photos qui suivent peuvent difficilement rendre la finesse de ce drap mais en gros, on dirait du lin avec le tombé de la laine. En plus, il ne peluche pas du tout. Bref, que du bonheur à travailler, à part l'odeur de mouton défraichi quand on le repasse. J'ai vérifié la possibilité d'une telle couleur. Elle semble difficile, mais pas impossible, à obtenir aussi "foncée" et soutenue. On peut notamment l'avoir à partir de mélanges à base de bois de Braize (importé d'Inde). Une autre solution, plus directe, est d'utiliser du bois de Campèche, mais comme celui-ci vient du nouveau monde, ce n'est pas cohérent historiquement.

 Comme certaines enluminures montrent un côte face aux tuniques, j'ai supposé qu'il était possible de les doubler. Histoire de conserver un drapé fluide, j'ai cherché du satin de soie. La chance aidant, j'ai trouvé mon bonheur dans le même magasin : un coupon de 3m, couleur taupe verdâtre, pour 30 €. Malheureusement, il faisait 136cm de large ce qui ne m'a pas permis de doubler entièrement la tunique. Le buste n'est donc pas doublé.

Enfin, pour les bandes de décoration, j'ai pris un drap relativement fin de laine sergé, marron, avec des reflets dorés, Au final, ce n'était pas forcément un choix judicieux : ma douce a eu quelques problèmes pour broder correctement sur le sergé et il rigidifie un peu trop la tunique, quoique c'est peut être du à la broderie.

5.2°/ La broderie

La broderie est entièrement faite en laine que j'ai acheté à Pontoise, au stand d'une madame anglaise que les habitués de Pontoise doivent connaître. La laine est filée et teinte naturellement. J'ai choisi des coloris qui tranchent suffisamment sur la couleur de la bande marron mais qui rappellent un peu la couleur de la tunique. Ce qui est peut être une erreur en soi, mais bon ... Le seul hic est la laine violette qui est teintée au bois de campêche (cf. remarque ci-dessus).

Il est relativement fréquent de trouver une enluminure où l'on voit des bandes de décorations brodées ou en galon. Malheureusement, elles sont relativement peu détaillées et surtout assez peu variées. Les principaux motifs que j'ai pu trouver sont sur les images ci-dessous :

Alencon-ms0011-001v-detail ChalonSurSaone-ms0008-104v-detail Dijon-ms0129-004v-01-detail Tours-ms0924-f26-detail Paris-Mazarine-ms0003-151v-detail Paris-BNF-Latin5411-181-detail

 Le premier est le plus courant : une suite de ronds, éventuellement ovales ou bien alternance ronds/ovales. Le deuxième et troisième sont en gros un rond central avec quatre petits ronds autour. Au vu de la seconde enluminure, il est possible que ces 5 ronds soient en fait tous des pierres. La quatrième enluminure présente une variation plus rares : les 4 petits ronds sont accolés au rond central. Encore une fois, rien n'exclu que ce soient en fait des pierres. Les deux dernières sont relativement rares par rapport aux autres : des sortes d'écailles/demi-cercles disposées en alternance et/ou opposition.

Pour être tout à fait honnête, j'ai dessiné les motifs de mes borderies avant de faire ces recherches, en me basant uniquement sur le style classique des enluminures XIIème (qui vaut aussi pour d'autres siècles) : des motifs floraux avec des feuilles simples, ou bien multi-lobes, et pas mal d'arcs brisés. C'est donc avec plaisir que j'ai trouvé des exemples approchant après coup.

5.3°/ Les "cailloux"

Pour compléter et mettre en relief les broderies, j'ai choisi de coudre de petites pierres. On en voit plein sur les enluminures ci-dessous :

Paris-BNF-Latin104-029v-detail Paris-StGenevieve-ms0008-041v-detail Paris-StGenevieve-ms0008-178v-detail

 Une question se pose tout de même : les pierres peuvent-elles être cousue sur la broderie ou bien uniquement à côté ? N'ayant pas de réponse toute faite, et surtout ayant une idée précise du rendu que je voulais, j'ai apposé certaines pierres par dessus la broderie.

J'ai aussi choisi des pierres dont la couleur s'accorde avec le reste de la tunique mais ... au goût moderne. J'ai donc des améthystes violettes et des cornaline oranges. Mais comme elles sont toujours disposées sur du jaune pétant ou bien du marron doré, il n'y a en fait jamais de ton sur ton,

 


6°/ Le résultat

6.1°/ la tunique

Le patronage de la tunique est un peu particulier. J'ai du faire des choix d'interprétation mais aussi de découpe du fait de la longueur et largeur des lais et de ma taille (193cm) :

  • la longueur totale étant 163cm (après couture), j'ai du faire deux parties cousues aux épaules.
  • ces deux parties sont rectangulaires, de même hauteur et largeur : 165x 55cm (avant couture). Je n'ai donc pas fait de décalage pour que la ligne de couture tombe un peu plus sur l'avant de l'épaule, ce que je regrette car vu le poids de l'ensemble, le tissu tire la tunique en arrière ce qui me remonte le col sur la glotte et n'est pas très agréable. Il faut espérer que la ceinture limitera ce phénomène.
  • les godets latéraux font 110cm de haut et 42cm de large (avant couture). Ils partent au niveau de la taille. Au final, après couture, le bas de la tunique a une circonférence de 250cm. J'aurai voulu au moins 30cm de plus mais la largeur du lai de soie (136cm) ne m'a pas permis plus.
  • la fente centrale fait environ 85cm de haut à la découpe, et environ 80cm à présent.
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  • A cause de la doublure qui a été cousue sur le bord inférieur et le long de la fente de la tunique, puis retournée, le haut de la fente finissait en une sorte d'arrondi qui n'était pas très esthétique.  De plus, la fente remontait trop haut. J'ai donc choisi de faire une fente finissant réellement en pointe, en cousant les bords de la fente sur environ 10cm, Cela crée une sorte de pince (cf. photo de gauche ci-dessous) qui fait froncer le tissu mais ce n'est pas très visible au porté.
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  • La soie : un bonheur a travailler ! Cela faisait très longtemps que je n'avais pas fait une doublure et j'ai oublié un détail primordial : le satin de soie a deux côtés différents. Pour découper les godets (qui ne sont pas tout à fait des triangles rectangles), il faut donc en tenir compte ... ce que je n'ai pas fait. Au moment d'assembler les godets à la partie centrale de la doublure, j'ai constaté que ça ne collait pas du tout avec la tunique. Sur les 4 triangles, seulement 2 vont bien. Après quelques minutes passées à éviter de tout balancer par la fenêtre, je taille dans le vif : je raccourçis la base de triangles pour les mettre au même niveau. Je couds les godets puis je découpe une pièce à peu près triangulaire pour la coudre à la base des godets, histoire de rattraper l'écart avec la tunique. La photo de droite ci-dessus montre le résultat : la triangle ajouté en bas à gauche, la partie centrale en haut et les deux godets au centre. Vive les puzzles !
  • Malheureusement, la soie étant mauvaise joueuse, elle se déforme beaucoup quand on la coud dans le biais. Le triangle ajouté est devenu un peu trop grand et fait de belles fronces. Heureusement, c'est une doublure ...
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  • Pour patronner les manches, j'ai fait divers essais pour la partie terminale. Ce qui rendait le mieux le tombé de l'enluminure est la forme ci-dessus : la fente part du poignet et va jusqu'au bout des doigts. La partie qui pend n'est pas perpendiculaire à l'axe de la manche mais revient vers le corps, ce qui forme un triangle au bout de la manche. En revanche, la forme en arc de cercle de la partie pendante n'est pas une bonne idée : le bout a tendance a rebiquer vers l'arrière. Je pense qu'une droite donnerait un meilleur résultat.
  • Comme on le voit sur les photos, la manche est en deux parties : je n'avais pas la possibilité de la découper en un seul morceau. La couture se trouve sur l'avant bras, juste après le coude. Il y a ainsi moins d'efforts sur la couture lorsque l'on plie le bras.
  • Le bas de la manche est en trapèze afin d'améliorer l'aisance sans utiliser de goussets, ainsi qu'au niveau du coude. Cela permet aussi d'avoir l'avant de la manche au plus près du bras. Au porté, c'est idéal à part le fait que la broderie rigidifie trop le tissu au niveau du biceps.
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  •  Les broderies ont été exécutées par ma femme, exclusivement au point de tige et point fendu. C'était ses débuts en broderie et compte tenu des motifs à suivre, pas nécessairement évident pour être régulier, surtout compte tenu du sergé de la laine de base. A part quelques imprécisions, vous pourrez constater sur les photos ci-dessous qu'elle s'en est remarquablement tirée.
  • Après environ 90h à broder, le résultat, dans cet ordre : les manches, le col et le bas.

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  • J'ai ensuite cousu les bandes au point invisible sur les différentes parties de la tunique, avant de coudre la doublure puis d'assembler les différentes pièces. Enfin, j'ai cousu les 75 pierres.
  • A noter que une bonne moitié de coutures, non visibles, par exemple l'assemblage des godets, la couture tunique/doublure, ... ont été faites à la machine, histoire d'accélérer la confection. L'autre moitié étant irréalisable à la machine, j'ai du user de l'aiguille une fois n'est pas coutûme.
  • Au final, après au moins 130h de travail (dont 90 de broderie), et quelques retouches (par exemple sur les fentes), j'ai pu essayer la chose.
  • Pour les photos ci-dessous, j'ai mis ma chemise, mes braies, mes chausses et chaussures habituelles. La ceinture est également absente pour donne une idée du rendu "brut".
costume-XII-hervald-0017-mini costume-XII-hervald-0020-mini
  • Comme on le voit ci-dessus, les manches pendouillent bien comme sur l'enluminure.
  • L'encolure arrive bien au ras du cou, ce qui cache la chemise. J'ai même un peu du mal à retirer la tunique.
  • En revanche, le drapé du bas est quasi inexistant : visiblement, il n'y a pas assez d'amplitude. De plus, la doublure tire le tissu vers le bas, ce qui limite les plis.
costume-XII-hervald-0023-mini costume-XII-hervald-0025-mini
  • Premier défaut irrémédiable : les bandes de biceps sont trop près du coude. Quand le bras est plié à 90°, ça fronce beaucoup trop entre la pliure du coude et la bande, ce qui n'est pas très esthétique.
  • Second défaut : le bout pendant de la manche rebique. Comme indiqué plus haut, il aurait mieux value faire une découpe droite plutôt que circulaire.
  • Sur la photo de gauche, j'ai mis ma jambe un peu comme sur l'enluminure. En étant un peu plus de profil, il serait effectivement possible d'avoir une fente centrale qui donne l'impression d'être latérale.
  • Sur la photo de droite, on voit un bout de mes braies mais pas la chemise : celle-ci m'arrive en haut de la cuisse mais surtout est également fendue devant. Visiblement, cela suffit pour qu'elle ne se voit pas.

6.2°/ La ceinture

La ceinture est faite intégralement en cuir. L'arrière, donc la partie "en banane" est réalisée en cousant deux épaisseurs l'une sur l'autre afin d'avoir la fleur des deux côtés de la ceinture. Pour éviter de gacher du cuir, l'avant est fait en cousant deux empiècements à chaque bout de la banane, venant prendre en sandwich celui-ci. Ensuite, j'ai fendu ces empiècements en 2 ou 3 brins, puis tressés ceux-ci de façon a former un tube. Enfin, j'ai terminé chaque tube par un tressage en forme de gland. On peut voir le résultat sur la photo ci-dessous.

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Cette phase terminée, la ceinture faisait un peu "nue". J'ai donc décidé de repousser le cuir afin de la doter de motifs floraux, très en vogue à l'époque. Comme Hervald est seigneur d'Eschène, la frise commence par quleques feuilles de chênes et de glands. Le résultat final est visible sur les photos ci-dessous. On remarque sur la deuxième le fameux noeud en huit qui semble être utilisé sur la plupart des enluminures.

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6.3°/ Les chaussures

Comme déjà indiqué en section 4.3, ce type particulier de chaussures "pointue" a été retrouvé en fouilles. Cela dit, les exemplaires mis au jour ne sont pas aussi pointus que sur les enluminures. En revanche, on note bien sur certains d'entre eux une découpe sur le haut du coup de pied, indiquant le côté m'a-tu-vu de ces chaussures qui laissent entrevoir les chausses.

J'ai donc patronné une paire de chaussures qui suive ces "codes", en lui ajoutant une bande de renfort d'une autre couleur (pour le côté frime) mais sans bande de broderie, le cuir choisi ne s'y prêtant pas. Le résultat est visible sur les photos ci-dessous, la première montrant l'assemblage avant retournage. On notera également sur la dernière l'utilisation d'une trépointe s'intercalant entre la semelle et la tige.

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6.4°/ le reste

Parmi les autres éléments du costume, les chausses sont également particulières puisqu'elles sont dans un tissu mélangeant laine et soie, d'un beau vert d'eau, très agréable à porter. Et surtout le tissage en damier associé à la soie donne un aspect chatoyant, toujours dans l'esprit frimeur du costume. La chemise de corps est en lin fin blanchi, tissé chevron. Elle s'arrête à mi-cuisse mais peut parfois être visible à cause de la fente de la tunique.

Le dernier élément en cours de réalisation est un fermail en forme de coeur, zoomoprhe, classique pour cette époque.

6.5°/ Tout ensemble

Je n'ai malheureusement pas beaucoup de photos réussies du costume complet donc je ne résiste pas à mettre celle où je suis accompagné de mon épouse, dont vous pourrez lire l'article sur son costume ici.

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6.6°/ Delirium tremens

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Hervaldsheim Textile Réalisations Costume masculin de noble, début XIIème, est de la France